Littérature

Élisabeth Filhol, Doggerland

Élisabeth Filhol, Doggerland

Faut-il donner la clef d’un roman ? En général la réponse est non, car une des forces du roman, contrairement à d’autres formes de récit, est précisément de laisser le champ libre à une variété d’interprétations. En tant que lectrice, j’aime entrer et circuler dans un texte de fiction sans que le chemin soit entièrement balisé. En tant qu’auteure, la question s’est posée à une étape cruciale de l’écriture de Doggerland, quand après avoir erré, j’ai pu enfin mettre un mot sur le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) de chacun des deux personnages principaux. Quelque chose alors s’est cristallisé, en trouvant leur cohérence, j’ai trouvé la direction que je voulais donner au livre, et les différents thèmes sont arrivés, en lien direct avec eux, Marc et Margaret, en lien avec leurs faits et gestes, l’activité qu’ils exercent, mais pas seulement. Margaret a une manière d’être au monde qui lui est propre. A priori la voie toute tracée qui s’offrait à elle, enfant, était de ne jamais pouvoir s’y intégrer. Quand à la fin de ses études, le Doggerland passe à sa portée, elle s’en saisit ; et ce pont terrestre jeté à la préhistoire entre l’Angleterre et le Danemark, elle va en faire son objet de recherche, un lieu de partage, qui la relie aux autres. Plus jeune, la relation qu’elle a construite avec l’un de ses frères, Ted, a eu la même fonction. On le repère souvent, au sein des fratries, dans un cas comme celui-là, d’un enfant différent, qu’un binôme se constitue sur lequel il s’appuie. Devenue jeune adulte, Margaret rencontre Marc. Qu’est-ce qui les unit, qu’est-ce qui les sépare, provisoirement, durablement, pris dans le filet d’un modèle néolibéral exigeant, qui ne laisse pas beaucoup de place aux profils atypiques, c’est le questionnement qui m’a guidée, le fil rouge, ce qui a été moteur et premier dans l’écriture. A partir de là, une à une, des portes se sont ouvertes. Le premier jet de Doggerland rend compte de ce cheminement. Un premier jet écrit au jour le jour, sans retour en arrière d’un jour sur l’autre, et qui n’a pas du tout la structure, l’organisation du livre fini. Quand il est question dans la version finale de géologie, de préhistoire, d’écologie, d’économie, différentes interprétations sont possibles, à commencer, bien sûr, par la plus littérale. Mais dans cette construction, cette vision du monde que véhicule le livre, les deux personnages principaux ne sont pas un prétexte, une concession faite aux canons du roman, ils ne sont ni secondaires ni au service d’un autre projet. Ils sont les piliers du texte, qui en leur absence, se serait développé autrement.

Éditeur original : P.O.L

Critiques

  • « Doggerland », roman au souffle intense et splendide […]. Élisabeth Filhol, dont c’est le troisième roman, file tout au long de son texte une métaphore entre l’état mental de ses personnages, le paysage et les conditions météorologiques.
    Elle n° 3816, Virginie Bloch-Lainé, 8 février 2019
  • Élisabeth Filhol signe un texte à nouveau envoûtant et visionnaire. […] Une nouvelle fois, la grande force d’Élisabeth Filhol est de parvenir à insuffler du romanesque et de la psychologie dans une réflexion documentée sur l’environnement et les mutations du monde contemporain.
    Lire n° 472, Alexandre Fillon, février 2019
  • Élisabeth Filhol poursuit avec « Doggerland » une œuvre à nulle autre pareille, d’une originalité folle et forte. Une œuvre où l’écriture est tenue, exigeante et précise.
    Le Figaro, Bruno Corty, 31 janvier 2019
  • On sent que le phrasé chez Filhol part en ruban, comme la circulation amplifiée du vent. […] C’est le roman d’un esprit curieux et analytique, friand de savoir, de technique, de performance scientifique ou de métamorphoses causées par le contexte.
    Libération n° 11706, Frédérique Roussel, 19 janvier 2019

Comment here