« Une petite fille nous aborde : Qu’est-ce que vous cherchez ? Elle a un regard joueur et curieux, je lui explique. Ici, il y a des années, sous le régime khmer rouge, c’était un hôpital, et j’ai enterré de très nombreux corps dans des fosses. Puis l’eau a englouti ce lieu, et on a bâti des maisons. Elle joue avec un petit bout de bois, un peu gênée : Je sais. On dort sur les morts. La nuit, parfois, on les entend parler. J’insiste un peu : Mais tu as peur ? Elle sourit : Non, on n’a pas peur, on les connaît. »
C’est à un voyage hors du commun que nous convient Rithy Panh et Christophe Bataille, huit ans après leur livre « L’élimination » – un voyage vers l’enfance et vers les rizières où furent tués, par l’idéologie, la faim et la violence, 1,8 millions de Cambodgiens. Le grand cinéaste cherche les lieux où furent enterrés les siens : le tombeau de son père, dans la glaise ; la fosse où furent englouties sa mère et ses sœurs. Mais aussi le grand banyan où il s’abrita, désespéré, à treize ans, avec ses bœufs – sur cette colline, les khmers rouges n’osaient pas s’aventurer.
Rithy Panh et Christophe Bataille roulent à travers le pays, s’arrêtent, parlent avec les bonzes, questionnent les villageoises âgées, grattent la terre et trouvent des ossement, des tissus ensanglantés. L’oubli guette, et la négation. Et Rithy Panh poursuit son chemin, cherchant la paix avec les morts et tissant un rapport unique avec les vivants, qu’il côtoie, victimes, bourreaux, complices, anciens cadres khmers rouges : le travail de connaissance ne cesse pas, à hauteur d’hommes.
D’une conversation écrite avec Noam Chomsky à des échanges avec le père Ponchaud, d’un entretien avec Robert Badinter aux lettres enfantines rangées dans une sacoche de cuir, d’une méditation sur l’idéologie aux visites aux femmes-devins, les auteurs nous offrent un grand livre.
Éditeur original : Grasset
Critiques
- Ce qui fait au fond de Rithy Panh un grand artiste, au-delà du travail de mémoire de l’historien, c’est sa capacité à inventer, pour chaque projet, une forme nouvelle, spécifique, adéquate […]. L’horreur affleure à chaque page, de même que la beauté, la profondeur.
Les Inrockuptibles n° 1262, Yann Perreau, 5 février 2020 - À la fois journal de la mémoire et carnet de bord d’une funeste et lancinante itinérance, « La paix avec les morts » est un récit chamboulé, en tensions, qui oscille entre l’apaisement avec les morts et l’agacement face aux négateurs. Rithy Panh règle ses comptes avec les relativismes de Noam Chomsky ou les euphémismes d’Alain Badiou face aux crimes de masse.
Libération n° 12015, Arnaud Vaulerin, 23 janvier 2020 - Récit de voyage sur les traces de sa famille, ponctué par les souvenirs, les rencontres et les conversations, La Paix avec les morts est un objet littéraire dense et protéiforme.
Lire n° 482, Léonard Desbrières, février 2020 - Il fallait faire une fois encore le chemin du retour, autrement, aller y chercher autre chose : l’empreinte invisible des vies détruites, surgie des vestiges. « La Paix avec les morts » est né de ce désir.
Le Monde n° 23346, Florent Georgesco, 31 janvier 2020
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